Accès aux services publics : inégalités qui dépassent le clivage rural/urbain
Une nouvelle étude du collectif Nos services publics, fondée sur des données statistiques, des analyses juridiques et des témoignages, montre que les inégalités d’accès aux services publics ne se réduisent pas à une simple opposition rural/urbain. Si le recul des guichets traditionnels est visible dans les territoires peu denses, d’autres mécanismes institutionnels et sociaux creusent et complexifient ces inégalités.
Un recul visible des guichets historiques
Depuis quarante ans, la présence physique des services publics a été recomposée : fermetures de points d’accueil et montée de la numérisation des démarches coexistent avec un besoin d’accompagnement humain. De nombreuses administrations ont réduit leurs guichets spécifiques, parmi lesquelles la trésorerie, les centres des impôts, Pôle emploi (devenu France travail), la Mutualité sociale agricole ou les caisses d’allocations familiales.
France services : un retour de l’accompagnement humain, mais des limites
Pour compenser ces retraits, environ 2 800 maisons France services ont été déployées depuis 2020. Elles accompagnent près d’un million de personnes chaque mois. Le collectif note que cette initiative permet un retour de l’accompagnement humain, mais qu’elle présente des limites réelles, notamment pour les publics les plus vulnérables :
- Le non-recours aux droits reste élevé, par exemple autour de 34 % pour le RSA.
- L’implantation territoriale seule ne garantit pas l’accès effectif aux droits : être géographiquement près d’un guichet ne suffit pas à lever tous les obstacles.
- Le fonctionnement d’un espace France services représente un coût important pour les collectivités (environ 100 000 euros annuels), alors que la subvention de l’Etat devrait atteindre 50 000 euros par espace en 2026, ce qui pèse sur les collectivités les plus fragiles.
Le rapport souligne que les collectivités mieux dotées financièrement et politiquement accèdent plus facilement aux subventions et aux financements par projet, tandis que les communes économiquement fragiles restent en marge du maillage.
Des mécanismes institutionnels qui renforcent les clivages
Nos services publics souligne que les inégalités ne recoupent pas strictement la distinction rural/urbain. Elles se doublent d’exclusions sociales et institutionnelles résultant de choix budgétaires et de rapports de force favorisant les groupes les mieux dotés.
Plusieurs exemples illustrent ce constat :
- Dans l’enseignement primaire et secondaire, la répartition des personnels accentue les inégalités : les académies accueillant les plus fortes parts d’élèves issus de familles défavorisées (comme Créteil, Versailles ou la Guyane) souffrent d’un manque d’enseignants et d’un recours massif aux contractuels.
- Dans le domaine de l’eau potable, le collectif identifie un non-recours au service chez les abonnés les moins favorisés, lié à un manque de confiance. Ces foyers ont souvent recours à l’eau en bouteille, plus coûteuse et contraignante.
- La montée du secteur privé dans la santé, l’enseignement ou l’enseignement supérieur pousse les usagers les plus aisés soit vers des offres privées, soit à exercer des pressions pour obtenir les meilleures ressources publiques au détriment des plus précaires.
La dématérialisation et la défiance
La numérisation des démarches accentue l’image négative que certains citoyens peuvent avoir des services publics. Un rapport d’information du Sénat publié en septembre décrit des relations souvent fastidieuses et des parcours perçus comme difficiles, en particulier en ligne. Cette perception alimente la défiance et le non-recours.
Le collectif rappelle enfin que les usagers peuvent partager leurs expériences, bonnes ou mauvaises, via la rubrique « Je donne mon avis » sur le portail des services publics.
Conclusions
L’enquête de Nos services publics montre que réduire les inégalités d’accès aux services publics exige plus que du maillage territorial : il faut accompagner les publics vulnérables, assurer des financements équilibrés, corriger les effets des arbitrages institutionnels et repenser la dématérialisation pour qu’elle n’aggrave pas l’exclusion. Les auteurs invitent à considérer l’accès effectif aux droits dans toute sa complexite, sociale, institutionnelle et territoriale.




