Résistance aux antibiotiques : la France mise sur les phages
Face à l’augmentation des bactéries résistantes aux antibiotiques, une équipe lyonnaise développe l’utilisation des bactériophages, ou phages, des virus capables d’infecter et de détruire des bactéries. Ce protocole, encore expérimental, a déjà permis de sauver des patients pour lesquels les antibiotiques ne fonctionnaient plus.
Un espoir tiré de virus naturels
Les phages se rencontrent dans les sols et les eaux usées. A l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, des échantillons sont récoltés et filtrés pour isoler ces virus. « Arrivées au labo, ces eaux usées vont être filtrées pour éliminer les gros dechets », explique Cindy Guérin, chargée d’etude au laboratoire des phages therapeutiques. Les extraits sont ensuite mis en contact avec des souches bactériennes pour identifier les phages actifs.
Les phages se fixent sur la surface d’une bacterie puis injectent leur materiel genetique, détournant la machinerie cellulaire pour se reproduire. Le cycle aboutit a la lyse de la bacterie en quelques heures. Une fois leur cible eliminée, les phages sont en grande partie éliminés naturellement par l’organisme.
Des usages cliniques au cas par cas
Ce traitement n’est pas encore autorise comme medicament standard. A Lyon, une centaine de patients, resistants aux antibiotiques, ont toutefois ete traites au cas par cas. Beaucoup souffraient d’infections liees a des protheses, comme des protheses de genou, ou a des dispositifs implantables tels que des pacemakers.
Le protocole consiste a recuperer la souche bacterienne du patient, tester plusieurs phages pour identifier ceux qui sont efficaces, puis assembler deux ou trois phages dans une seringue. Le produit est injecte localement ou par voie generale selon le type d’infection. Selon les equipes, ce traitement a permis a certains patients de conserver un membre ou de retrouver la capacite de marcher.
Une production controlee et securisee
Les phages retenus sont mis en flacon dans un laboratoire ultra-securise de l’hopital Edouard Herriot. Benjamine Lapras, pharmacienne ingenieure et cheffe du projet TheraPhage, decrit les procédures: port de protections, postes de securite microbiologique et filtration prolongee pour obtenir un produit suffisamment pur pour l’injection humaine.
- Delai de production: environ 15 jours pour une pochette de phages.
- Rendement: une pochette fournit environ 1000 flacons.
- Consommation: une quinzaine de flacons sont necessaires pour traiter un patient type.
Vers une production industrielle et des essais cliniques
Le projet pilote, dirige par le professeur Frederic Laurent, vise a monter une production industrielle en France. L’objectif est de creer un « etablissement francais du phage » pour approvisionner la France et potentiellement l’Europe. Selon lui, il y a urgence: « C’est maintenant qu’il faut les developper parce que, deja, on a de vrais problemes de traitements pour des patients. » Il anticipe une vague de bacteries multiresistantes dans les dix prochaines annees et espere obtenir des autorisations pour augmenter la production debut 2026.
La prochaine etape scientifique est la mise en place d’essais cliniques pour valider formellement l’efficacite et la securite de ces phages chez l’homme. L’Organisation mondiale de la sante considere les phages comme l’une des alternatives les plus prometteuses face a l’antibioresistance.




